Depuis 2 ans que nous utilisons Twitter en classe de CP, le nombre d’abonnés n’a cessé de croître, passant d’une petite dizaine de curieux à des centaines de lecteurs. Ce billet essaie de cerner les avantages et les inconvénients d’un auditoire qui prend de l’ampleur jour après jour.

 

L’anecdote

Avant les vacances de Printemps, j’ai relancé en classe la série de tweets « Si j’étais président », que nous avions entamée lors d’un salon éducatif à Paris en novembre dernier. Le contexte de la campagne électorale a fait que de nombreux abonnés s’y sont intéressés, et toute la matinée suivant l’envoi des premiers tweets des élèves, les mentions et les retweets se sont enchaînés sans arrêt.

Un retweet ? C’est l’action, de la part d’un abonné, qui consiste à prendre le message signé de notre compte pour le diffuser à son propre réseau. Concrètement, cela signifie que l’enfant retweeté a encore plus de lecteurs potentiels que les seuls abonnés du compte-classe.

C’est ainsi que l’élève a dépassé le maître : Romain, 6 ans, est devenu « top tweet » avec un message très apprécié :

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Sans compter les mentions « Romain, président » ou autres encouragements…

Il n’était pas seul, d’autres tweets ont été très commentés :

tweetSacha… avec des comparaisons entre les divers candidats du premier tour :

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… ou des remarques plus engagées :

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… et même quelques réflexions politico-sociales :

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Recevoir tant de mentions a rendu impossible toute réponse ou remerciement d’usage sur Twitter en général, et en classe en particulier. Nous avons donc terminé la matinée en chantant, au rythme des « tweets » sonores générés par notre logiciel Tweetdeck. ^^

En faisant les comptes, cette petite agitation avait permis au compte de la classe d’accueillir plus de 150 nouveaux abonnés en quelques heures…

 

D’une communication réelle à une publication communicante

L’anecdote autour des tweets présidentiels montre à quel point une translation s’est effectuée depuis des situations de communications réelles, terme à terme, prolongées dans le temps, vers des situations de publications commentées par de nombreux lecteurs. La nuance est fine, mais mérite d’être soulignée.

Avoir de plus en plus d’abonnés, quels avantages ?

  • Le projet vit en classe parce que les élèves se savent lus : plus il y a d’abonnés, plus il y a de lecteurs potentiels, et plus les réactions suite à l’envoi d’un tweet sont nombreuses dans les faits(mention, retweet et nouveaux abonnements). Se savoir lu par 3 personnes ou 100 personnes, ce n’est pas la même chose, et ça apporte plus d’exigence.
  • Avoir un large panel d’abonnés, c’est multiplier les chances d’avoir des experts de l’autre côté de l’écran. Lorsqu’un enfant se pose une question, ou veut en savoir plus sur un sujet, le réflexe « Twitter » commence à devenir aussi naturel que le réflexe « Google ». L’apprentissage social devient une habitude, je m’en réjouis ; c’est aussi l’occasion d’éduquer à l’esprit critique et au croisement des sources.
  • Anecdotique, mais véridique, voilà 2 ans que je vais beaucoup plus loin en numération avec mes CP ; mes programmes me demandent en effet de travailler sur les nombres de 1 à 100, et pourtant les enfants, instinctivement, apprennent à nommer les nombres jusqu’à 1532 (notre nombre d’abonnés à l’heure à laquelle j’écris ces lignes). Certes il n’y a pas que Twitter pour travailler sur le nombre, mais les élèves n’y échappent pas !
  • Un nombre d’abonné qui augmente, c’est une fierté pour l’enfant, qui voit une conséquence entre sa production et l’évolution de son auditoire. En terme psychologique, il y a aussi la reconnaissance de son existence :

J’écris, donc je suis !

Avoir trop d’abonnés, quels inconvénients ?

  • En réponse à l’argument positif précédent, cette course aux nouveaux abonnés peut devenir malsaine, à mes yeux : l’enfant va écrire, non plus parce qu’il a un message à transmettre, mais pour « gagner des abonnés » (ce sont leurs paroles). Ils arrivent dans une logique de récompense, comme la bonne note, décontextualisée de l’apprentissage et du sens des échanges. Cela me semble gênant qu’un enfant prenne plaisir à se faire retweeter ou à gagner de nouveaux abonnés au détriment du plaisir lié au contenu des réponses ou de l’apprentissage.A noter que je ne suis pas innocent dans la réalisation de cette course, utilisant un logiciel qui indique sous chaque avatar le nombre d’abonnés de la personne…

tweetdeckCP

  • Deuxième effet négatif illustré par l’anecdote au début de ce billet :les échanges peuvent devenir impossibles à gérer : je ne parle même pas de l’impossibilité de répondre à tous, mais déjà de la difficulté de tout lire. Mes élèves ne sont qu’en CP, et la lecture de 140 caractères prend déjà du temps pour certains.L’an dernier, avec 100 ou 200 abonnés, nous arrivions à faire vivre des échanges dans la durée, entre la classe et d’autres adultes, ou entre enfants d’abonnés (des échanges assez intimes avaient même eu lieu). Cette année, non seulement c’est plus difficile logistiquement, mais surtout ce n’est pas entré dans la logique et dans les moeurs de mes nouveaux élèves : ils se sont approprié Twitter comme un outil de publication commentée, et non comme outil d’échanges.

Mais après tout, pourquoi pas, pourvu qu’ils écrivent ?!

 

Qui de l’oeuf ou de la poule ?

J’ai parlé de la « course aux abonnés », d’un côté motivante et amusante, de l’autre malsaine et décontextualisée du sens même de l’écrit.

Dans les faits, tout est beaucoup plus lié qu’on ne le pense : l’enfant se rend vite compte que pour « gagner des abonnés », il ne suffit pas d’écrire, mais qu’il faut penser son écrit, le rendre intéressant par sa forme (vocabulaire adapté, humour…), mais aussi par son contenu (précision des informations…).

Alors qui est arrivé en premier ? L’oeuf ou la poule ? La publication ou la communication ? Dans un projet tel que celui que nous vivons en classe, je suis persuadé que tout est imbriqué, et si certains projets ponctuels seront plus pertinents dans une relation duelle (par exemple notre partie d’échecs avec la classe de CM1 de M. Acou), il est certain que la motivation d’un lectorat nombreux est essentiel.

La dimension publique de Twitter permet, au-delà de la simple communication, une publication des échanges, laissant la porte ouverte à toute intervention supplémentaire et enrichissante.

Sur ces quelques réflexions, je vous laisse en compagnie de Romain, qui prépare déjà sa campagne pour 2042 :

tweetRomain2

8 commentaires “M’sieur ! On a gagné 7 abonnés !”

  1. Je découvre ce site et le compte twitter associé grâce à un tweet évidemment. J’ai beaucoup apprécié vos réflexions et ce projet me paraît en de très bonnes mains. Continuez!

  2. Je trouve votre expérimentation de Twitter en classe vraiment extraordinaire! Ne pas diaboliser les réseaux sociaux, mais vivre avec son temps et apprendre aux enfants les codes de ses nouveaux systèmes auxquels de toute façon ils n’échapperont pas est réellement très enrichissant pour vos élèves.
    Je fais d’ailleurs partie des 1532 abonnés de votre classe. Et je répond parfois à leurs tweets.
    Cependant, une petite chose me dérange. Il y a souvent dans les tweets de vos élèves des erreurs de français.
    Je sais qu’ils ne sont qu’en CP, cependant je m’interroge sur l’intérêt de les laisser publier de telles fautes.
    Peut-être avez-vous d’autres objectifs prioritaires dans ce projet, mais j’avoue que cela me gêne un peu.
    En tous cas, je vous encourage à continuer ce projet que je trouve formidable.
    Amitiés.

  3. @Elodie
    Merci pour ce commentaire.
    Mon premier objectif est en effet de faire écrire mes élèves le plus souvent possible, à travers une situation motivante et pleine de sens. La maîtrise de la langue n’est donc pas anecdotique…
    Si je « laisse passer » quelques approximations de langage, c’est pour coller le plus possible au vécu de l’enfant, et espérer qu’à travers les échanges, ils puissent s’améliorer… L’an dernier, pour faire court, un enfant avait écrit « j’ai été au cirque » et un abonné lui avait fait la remarque de la mauvaise construction grammaticale. Cela avait fait « jurisprudence » dans l’écriture des élèves de la classe (je raconterai ça dans un prochain billet…).
    Après, il peut y avoir des erreurs que je laisse passer involontairement, il ne faut vraiment pas hésiter à laisser des messages, pas dans une optique de juger, mais dans un but d’apprentissage social… Merci en tous cas pour votre participation au projet !

  4. est-ce qu’il n’y a pas un risque
    de sortir de l’obligation de neutralité,
    puisque si les enseignants y sont soumis,
    les lecteurs/re-tweeteurs/commentateurs, eux,
    n’y sont pas soumis,
    faisant que des remarques partisanes peuvent
    influencer les enfants?
    ne faudrait-il pas un compte privé, non retwittable, et sur lequel l’enseignant puisse voir à priori les followers avant d’accepter d’introduire leurs tweets dans la classe?

  5. La question mérite d’être posée, mais dans la logique d’éducation, c’est justement une chance d’avoir la possibilité de lire « n’importe quoi » dans les mentions. Je l’ai déjà développé ailleurs sur ce blog : j’ai la chance de lire plus vite qu’eux, et en cas de mention vraiment inappropriée, j’éteins l’écran sans explication, ou je les distrais avec un autre sujet d’intérêt ^^. Sur ce sujet, on peut lire l’article précédent.
    Sur le plan de la neutralité, les abonnés sont pour moi l’équivalent des gens qu’on croise dans la rue, ou des parents qu’on croise dans l’école. Un enfant entend tout, et participe malgré lui aux débats des parents. Je vous mets au défi de me trouver un enfant de 6 ans qui n’a pas le même choix « politique » que ses parents (ou l’un des parents engagé). On entend d’ailleurs des remarques très précises quand on aborde le sujet, le tout est de savoir prendre de la distance entre « voilà ce qu’il pense », et « voilà ce qu’il faut penser ». C’est aussi une prise de conscience que tous ne pensent pas la même chose…
    Bon, dans ce cas particulier, encore une fois, les mentions étaient tellement rapides que nous n’avons pas tout lu, notamment ces tweets engagés ou ceux dont l’humour n’était pas compréhensible par les enfants. A lire, d’ailleurs, sur leur vision de la fonction présidentielle, cet article de l’Express paru cette semaine, avec mes élèves en guest-star. 🙂

  6. JR, ton passage sur la chasse aux abonnés me fait penser à ces jeunes qui « chassent les com’ » sur leur blog (avec des dédipics) et je me dis qu’il y a là un créneau à travailler en classe, dans le cadre « Adopter une attitude responsable ». Tes élèves sont peut-être encore petits, mais pour ceux du cycle 3, collège et lycées, ces deux phénomènes mériteraient d’être débattus. Non ?

  7. Effectivement, on retrouve un peu le « lâche les com’ ». Cependant, travailler ça en éducation, même pour des cycles 3, ce n’est pas évident. Recevoir « plus » de commentaire, c’est aussi une forme de reconnaissance, un tableau de chasse en terme d’amitiés, la capacité aussi de se créer et d’entretenir un réseau (compétence qui n’est pas anecdotique aujourd’hui).
    Mais effectivement, une réflexion doit être menée sur la nature exacte de la relation qui unit la classe à ses abonnés.
    Bref, encore beaucoup de choses à mettre en place et à penser autour de nos projets !

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