Dans la série « j’utilise Twitter en classe avec des élèves de 6 ans », j’avais promis de vous raconter une anecdote concernant le dépassement des cadres et des règles que nous nous étions fixés (voir le « code de Twitter« ).

L’anecdote

C’était un samedi après-midi, et j’étais en train de faire ma sieste devant ma Timeline, quand soudain je vois apparaître le tweet de l’un de mes élèves : une suite de caractères incompréhensibles, envoyés à un contact qui n’est pas un autre élève de la classe.

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Quelques minutes plus tard, je commence à m’inquiéter, 2e tweet, mais cette fois avec du sens, et adressé à un autre enfant de la classe : « tu te tais ».

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Puis, de minute en minute, chaque enfant inscrit sur Twitter en prend pour son grade :

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(pour ceux qui n’ont pas le sous-titrage, il faut lire « espèce de crotte de nez »).

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Vous noterez la diversité !

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Et là, un bel exemple de la pertinence de l’écrit pour guider les apprentissages : je vois clairement qu’avec cet enfant, il faudra reprendre le « œ » ainsi que les valeurs phoniques de la lettre G selon les lettres qui suivent !

Bon, sérieusement, au-delà du comique de la situation pour des adultes non impliqués, j’étais face à un problème éducatif. Devant des parents parfois hésitants à utiliser le Net, quelle image allait renvoyer ce comportement ? Comment réagir, en tant qu’éducateur, pour me servir de cette mésaventure afin de mieux éduquer les enfants et leurs parents (car dans cette anecdote, il s’agit plus d’un manquement de surveillance adulte que de la bêtise de l’enfant) ?

Prévenir

Dans un premier temps, pratiquement instantané, j’ai envoyé un mail (ou un message privé) aux parents des enfants inscrits sur Twitter, pour les prévenir que cet élève utilisait un ordinateur à l’insu de ses parents, et en leur indiquant la marche à suivre pour le bloquer. J’en profitais pour leur rappeler l’importance de toujours accompagner leur fils ou leur fille sur l’ordinateur…

Parallèlement, j’envoyais un message à l’enfant en question, que je savais connecté, pour lui dire que ça n’était pas sérieux et que je contactais ses parents (les insultes ont cessé aussitôt). Mais surtout, j’envoyais un message à la famille concernée pour les prévenir de la situation. J’ai reçu assez rapidement un message bien confus et empli d’excuses de la maman ; l’enfant avait profité d’un court moment d’absence pour accéder seul à l’ordinateur. Les excuses ont été réitérées le lundi matin par l’enfant ainsi que par la maman aux personnes concernées. Cet enfant avait été insulté dans la cour de récréation, et avait utilisé Twitter pour se venger…

Éduquer

C’était bien-sûr l’occasion pour éduquer les parents. Je ne jette pas la pierre à cette famille, ça aurait pu arriver sous ma responsabilité dans la classe. Mais on ne le répétera jamais assez, accompagnez donc vos enfants dans leur utilisation du Net. Certes, accompagner, c’est accorder de la confiance, mais c’est aussi mettre des garde-fous (logiciels adaptés pour le surf, mot de passe à l’ouverture ou à la sortie de veille de l’ordinateur, horaires, limites…).

J’ai souvent pris l’exemple des dangers de la rue (circulation, mauvaises rencontres…) : ça n’est certes pas une solution d’enfermer son enfant chez soi jusqu’à 13 ans ; il est nécessaire de lui tenir la main, de lui expliquer les dangers des véhicules, les codes pour traverser, les pièges fréquents (sur un parking, on ne te voit pas). Si l’enfant n’est jamais confronté au danger, il ne sait pas le gérer, le contourner ou en échapper, mais sans accompagnement, sans explication, il n’a aucun moyen d’y faire face.

Sur Twitter, et sur Internet en général, c’est la même chose : l’adulte doit pouvoir laisser de plus en plus d’autonomie, tout en gardant un oeil éducatif sur ce que l’enfant reçoit ou exprime par ses mots. Cette « aventure » a permis également de rappeler notre code d’utilisation de Twitter, mais plus largement de ce type de média : l’aspect public est revenu dans la bouche des enfants, car le monde entier a vu les insultes (ils imaginent que toute la planète parlent d’eux…), mais cela fut également l’occasion de revoir comment réagir face à quelqu’un qui nous insulte. La défense sur Twitter, c’est de bloquer la personne, c’est aussi l’une des défenses efficaces dans la cour de récréation, ignorer.

C’est amusant d’ailleurs, car je remarque en écrivant ces lignes, que le « block and report spam » de Twitter correspond à mon « ignore-le, mais va prévenir le maître » suite à une insulte de la part d’un enfant… Ainsi chaque lieu, virtuel ou non, a son modèle bien précis de défense, et je répète souvent à mes élèves que se défendre à l’école ou que se défendre dans la rue n’a pas la même logique (quand l’adulte n’est pas là, il faut bien trouver d’autres moyens…).

Punir

Enfin, je ne pouvais pas laisser ces insultes impunies. Il est clair que nous sommes bien au XXIe siècle, car c’était la première fois de ma carrière que je punissais un enfant pendant le week-end, via internet ! Sans compter que la punition que je suggérais à ses parents était la désactivation de son compte Twitter. Vous comprenez, si je lui avais donné 50 lignes à faire « je ne dois pas insulter mes camarades sur Twitter », j’aurais eu trop peur qu’il n’utilise le copier-coller découvert en classe ! ^^

Les parents ont joué le jeu, et de mon côté, l’enfant a été interdit d’ordinateur dans ma classe jusqu’à la fin de l’année scolaire (ce qui n’est pas un détail, croyez-moi). Je pense d’ailleurs que s’il a réussi à utiliser Twitter en l’absence de ses parents, et d’envoyer correctement les insultes à chaque enfant, c’est qu’il a acquis les compétences informatiques attendues en fin de CM2… Pour mes objectifs d’écriture et de lecture, que les personnes inquiètes se rassurent, d’autres activités sont proposées en classe, en dehors de l’écriture de tweets !

En guise de morale

La morale de cette histoire, elle a été dite par l’enfant concerné, lors d’une interview que j’ai faite avec lui concernant Twitter en classe. Je lui demandais si Twitter lui manquait, ou si ça n’était pas trop grave d’en être privé, et voici sa réponse :

« Ben, c’est pas trop grave, au moins, j’peux écrire !« 

En voilà au moins un qui a bien compris l’objectif de ma démarche ! 🙂

7 commentaires “Prévenir, punir, éduquer… et écrire !”

  1. Ce n’est pas dans mes habitudes de produire des commentaires mais ton billet m’interpelle sur plusieurs points qui, je pense, dépassent largement l’anecdote qur laquelle il s’appuie. Je vais tenter d’exposer ici les questions qui me viennent à sa lecture et d’en donner une première auto-réponse en espérant que nous pourrons tous ensemble en débattre, pour peut-être trouver des réponses communes…

    Un enfant peut-il posséder seul un compte sur un réseau social ?
    Les conditions générales d’utilisation de Twitter (https://twitter.com/privacy) et Facebook (http://www.facebook.com/policy.php) sont claires : non.
    Néanmoins comment éduquer à ces médias utilisés par des enfants de plus en plus jeunes (beaucoup d’élèves de cycle 3 ont des comptes Facebook et les utilisent au quotidien, il n’est pas très difficile de passer outre les CGU…) ?
    Je pense que la solution est l’utilisation accompagnée par l’adulte : les comptes ne peuvent (ne doivent ?) pas être ouverts ou utilisés au nom seul de l’enfant mais bien seulement au nom d’une classe ou d’une famille. Il me semble qu’ouvrir ou laisser ouvrir un compte au nom de l’enfant ne peut que l’inciter à en faire une utilisation personnelle et solitaire : c’est mon compte, pourquoi ne pourrai-je pas l’utiliser comme je le veux ?


    Quelle éducation aux médias numériques pour nos élèves ?
    Je reste convaincu que l’éducation aux médias doit être mise en place dès le plus jeune âge. Il nous reste à savoir à quel âge pouvons-nous aborder tel ou tel point.
    On l’a vu via tes articles sur la charte Twitter de ta classe où tu posais très justement la question « comment, à 6 ans, avec un outil qu’on ne maîtrise pas vraiment, pouvoir faire cette part des choses ? Et ne pas tomber dans la confiance aveugle, ou dans la méfiance obstinée ? », le problème de l’âge se pose.
    Quelle représentation de l’internet peuvent avoir des enfants qui, comme le disent les programmes du cycle 2, « découvrent et commencent à élaborer des représentations simples de l’espace familier » ? On peut se demander si cet élève en prenant le clavier pour écrire à ses « camarades » n’a pas tout simplement pas encore intégré l’espace qu’est l’internet. Peut-être et surement a-t-il simplement voulu « s’amuser » avec ses camarades, enfants qu’il côtoie dans ce même espace familier. Sachant allumer un ordinateur et utiliser un moyen de communication qu’il connaît bien, Twitter, il l’aura choisi pour cet amusement.
    Enfin, il ne faut pas à mon avis négliger la diversité des médias. Ce que l’on abordera via l’outil choisi ne sera pas universel. Si j’utilise Twitter comme outil d’écriture, de communication et d’éducation aux médias, il ne me faut pas négliger les autres médias qui ont leurs propres problématiques, le blog, le forum, le commentaire laissé sur un site d’information, etc. me semblent apporter également leur lot de compétences à aborder.


    Quelle « éducation » aux médias pour les parents ? Est-ce le rôle d’un enseignant d’éduquer aux médias les parents des enfants dont il a la charge ?
    Il y a certes un grand vide sur ce sujet de l’éducation des adultes aux médias numériques mais les professionnels que nous sommes peuvent-il éduquer la société entière ?
    Je pense encore ici que non. À moins de se transformer en un super héros de l’éducation, il me semble que nous avons déjà bien à faire avec nos élèves…
    Notre rôle n’est certainement pas là. Nous nous devons par contre d’informer sur les outils que nous avons choisis, qui plus est je pense s’ils sont encore inhabituellement utilisés à l’école. Je pense que par cette seule information nous pouvons participer à l’éducation des adultes, mais nous ne les éduquons pas, nous informons, nous invitons à aller plus loin… Les enfants se chargeront certainement de transmettre ensuite ce qu’ils auront acquis et ce que nous leur avons transmis.
    Cette éducation aux médias numériques pour les adultes doit être mise en place, j’en suis persuadé. Mais pas par nous.
    Elle devrait l’être par des organismes publics pour éviter à tout prix la dérive « sécuritaire » chèrement dispensée par ces entreprises privées qui s’en sont fait spécialistes (cf http://www.framablog.org/index.php/post/2011/02/25/calysto-education-internet).
    Elle devrait même être mise en place par nos gouvernants bien avant les systèmes répressifs, je continue d’ailleurs à me poser cette question en référence aux dernières lois : comment peut-on réprimer lorsque les citoyens ne sont pas pleinement conscients de ce que leur impose la loi ?
    De mon point de vue, ce n’est donc pas à l’éducateur de faire le travail (colossal au passage…) des pouvoirs publics mais bien à ces seuls pouvoirs publics. Ils pourront certes déléguer cette tâche mais en connaissance de cause et sous le principe de la gratuité, seule garant à mon avis de l’accès pour le plus grand nombre (et pourquoi pas d’ailleurs à des associations dans lesquelles des éducateurs sont engagés en tant que citoyens comme le propose l’auteur de l’article sur le Framablog ?).


    Doit-on utiliser le cadre privé de l’enfant pour une utilisation en classe ?
    Encore ici vaste question… Nombreux sont ceux d’entre nous qui utilisent le « quoi de neuf », les expériences, les souvenirs, les photos des élèves pour illustrer ou comme point de départ d’une séance. Bien nous en prend d’ailleurs car il me semble qu’ancrer les apprentissages au réel et au vécu de l’enfant est essentiel. Mais le faut-il systématiquement ? Peut-on utiliser un événement quelconque de la vie de l’enfant et le mettre finalement sur la place publique sans l’accord du principal concerné, l’enfant lui-même ? N’y a-t-il pas un risque de stigmatisation ?
    Tu as choisi d’utiliser cet événement en classe, je ne juge pas ne connaissant pas la situation et le contexte de ta classe. Mais je continue de m’interroger sur notre pratique, sur ma pratique, peut-on, doit-on utiliser les « bêtises » des enfants faites en dehors de l’école comme contre-exemple ? N’introduit-on pas là le risque de mettre en place cette « méfiance obstinée » : regardez, voilà ce que x a fait, voilà ce que x a failli rencontrer, voilà ce qu’il ne faut pas faire…

    Quelle place pour les éducateurs que nous sommes en dehors de l’école ? Est-on encore éducateur en dehors de nos heures de service ?
    Oui et non. Oui avec notre statut de fonctionnaire de par notre devoir de réserve. Et non car j’ai aussi une vie en dehors du travail, même si l’on sait qu’il nous est difficile de ne pas mélanger les deux sphères professionnelles et personnelles…
    L’éducateur doit-il intervenir en dehors de la classe ou est-ce au citoyen d’agir ? La métaphore du comédien et du personnage me convient assez bien sur ce point, ne sommes-nous pas finalement le personnage éducateur et le comédien citoyen ?

    Peut-on punir des faits qui ont eu lieu en dehors de l’école ?
    Là, je t’avoue n’être absolument pas d’accord avec toi. Tout simplement peut-être car j’ai certainement beaucoup de mal avec le concept de punition et ensuite car je ne vois pas quelle légitimité nous avons à intervenir dans la sphère privée de nos élèves, qui plus est en contraignant leur vie d’enfant.
    Je reste persuadé sur ce point que seuls leurs parents sont aptes à intervenir, peut-être certes après que nous les ayons consultés et informés, mais bien de leur seul fait et de leur seul choix.
    Ton choix a été de demander la fermeture du compte, je crois que les cinquante lignes auraient eu le même effet : une intervention contraignante de l’enseignant dans la vie de l’enfant. Et finalement, n’est-ce pas aussi indirectement remettre en cause l’autorité des parents de cet enfant ?

    J’aimerais revenir enfin sur ton allusion au B2i… Il est important de le mettre en place dès les plus petites classes et nous savons que c’est souvent difficile, ton travail en la matière est d’ailleurs à souligner. Néanmoins, n’oublions pas que le B2i (je n’aborderai pas ici ses manques, il a déjà le grand mérite d’exister) est un ensemble de compétences qu’il est essentiel d’aborder tout au long de la scolarité, je ne pense pas qu’on puisse comme tu l’écris prétendre valider le domaine 2 du B2i – adopter une attitude responsable : http://www.b2i.education.fr/ECL_2.php?niv=ecole – dès le CP !
    Il est nécessaire d’y revenir, rien qu’en prenant en compte la maturité des élèves, et d’y revenir sans cesse, pour réactiver et pour augmenter ces compétences.

    J’ai été un peu long, je m’en rends compte… Mais il me semble et j’aimerai que l’on puisse profiter de ton article et de ce commentaire pour débattre de ces points comme nous savons si souvent le faire dans cette belle communauté éducative 2.0…
    Et pour terminer, pas en guise de morale, car je n’ai aucune prétention moralisatrice, je ne m’en sens absolument pas capable, mais comme une conclusion ouverte, je pense que chaque outil est bon dans nos pratiques de classes, à nous de choisir le plus judicieux au meilleur moment de la vie de classe.

  2. @bformet : je prendrai le temps de répondre à chaque point dès que possible, mais j’ai trop de choses à dire pour l’écrire comme ça en 5 minutes ^^.

  3. Instit de formation et désormais animatrice multimédia, je ne peux que sourire en lisant cela. Mais pas un sourire moqueur, loin de là! C’est le 1er cas de « e-punition » scolaire que je lis;-)
    Je m’abonne au flux RSS de ce pas…On ne sais jamais qu’il y aurait une suite:-)
    Bonne continuation!

  4. Pinaise ! Jusqu’à la fin de l’année scolaire pour une simple petite CROTDENET c’est dur non !

    Surtout qu’il ne s’agit en aucun cas d’un insulte, mais d’une application pratique des enseignements donnés à tes élèves !!!

    Un « crot » (http://fr.wiktionary.org/wiki/crot) est un récipient, un contenant.

    « Denet » est une autre formulation qui signifie « qui vient du Net »donc du web, de la toile…

    Somme toute, ton élève à voulu parler de TWITTER : c’est espace de dialogue et de communication dans lequel nous versons chaque jour (eu égard au récipient) nos flots de paroles liées à ce merveilleux outils qui est le web !

    La sanction tombe comme un couperet, sans coup de semonce (tu auras noté le paradoxe).

    Surtout quand un élève travaille le samedi à oeuvrer en ton sens : pratiquer Twitter pour parfaire à ses connaissances.

    Tu me déçois.

  5. Bonjour
    je découvre ce site par l’intermédiaire du café pédagogique et moi aussi je m’abonne illico presto au RSS.
    je suis séduite par ta démarche.

    Je suis d’accord avec Olivier Goujon…
    jusqu’à la fin de l’année ! je trouve ça super dur !!
    J’aurais imaginé plutôt du travail d’intérêt général sur Twitter biensur 🙂 . Ne risques tu pas de le marginaliser au sein de la classe ? La notion du temps de ces élèves est largement autre que celle des adultes (ma fille est en CP). 3 semaines aurait il eu le même effet à ton avis ?
    Par contre, je sais que l’effet d' »exemple » est très efficace auprès des autres élèves !

    je propose un comité de défense pour le jeune twitteur enragé. je plaide pour une remise de peine à la rentrée des vacances de Pâques s’il se comporte bien, évidemment !

    bonne continuation, bonne analyse réflexive,…
    à bientôt

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