Ce matin, au réveil, je lisais à distance les tweets d’une conférence sur l’évaluation qui se déroule à Paris. L’un de ces tweets :
Evaluer par compétence c’est d’abord travailler en classe par compétence.
Ce tweet m’a donné envie d’écrire ce que j’ai depuis un an ou deux sur le cœur : j’ai l’impression malsaine que je perds un temps précieux en classe à évaluer des choses que je sais pertinemment acquises. Et inversement, je constate que mes évaluations en fin d’apprentissage ne servent absolument à rien, si ce n’est à confirmer ce que je sais déjà, ou à transmettre aux parents l’état d’apprentissage de leur enfants.
Et si au lieu de noter, de mettre des pastilles de couleurs, des acquisition de compétences (si vites oubliées), on passait vraiment du temps à agir, à mettre du sens dans les découvertes, à apprendre ensemble ?
L’évaluation, c’est un vieux serpent de mer dans l’enseignement qui revient toujours sur le terrain des éducateurs, dans les formations, dans les inspections, dans les discussions entre collègues…
L’ennui, c’est qu’on ne parle jamais de la même chose.
Pour qui l’évaluation est-elle mise en place ?
Cela me semble être la première question à se poser, car derrière le « pour qui », il y a le « pourquoi ».
Est-ce pour les parents ? (c’est souvent le cas). Ils ne sont pas dans la salle de classe, et un bulletin, un cahier de réussites ou un livret de compétences peuvent être des outils de communication des progrès de leur enfant. Utilité pour l’apprentissage des élèves ? Nulle (hormis quelques familles qui prennent vraiment à bras le corps une difficulté signalée et qui n’attendent pas de l’école qu’elle soit omnipotente).
Est-ce pour la hiérarchie éducative ? (évaluations nationales, ou propres à une école…) Elles permettent de calculer des statistiques, de justifier l’éducation « nationale », et éventuellement ajustent les programmes en fonction des difficultés les plus rencontrées. Utilité pour l’apprentissage de l’élève ? Nulle.
Est-ce pour l’enseignant ? Une évaluation en début d’année permet par exemple de faire des groupes de niveau ou des groupes de besoins, afin d’adapter ses cours ou sa façon de faire cours aux élèves. Là, je ne peux pas dire que ça soit inutile, c’est un acte pédagogique qui va permettre une meilleure efficacité dans l’apprentissage. L’évaluation ne permet pas l’apprentissage, elle en devient juste un facilitateur.
Est-ce pour l’enfant ? Il peut être utile pour un élève de connaître ce qu’il sait faire, ce qu’il ne sait pas faire, ce qu’il lui reste à faire ou à apprendre… Mais doit-on pour cela avoir une batterie de tests et de critères ? L’enfant n’est-il pas capable de savoir ce qu’il sait déjà faire sans perdre le temps de l’évaluer ?
De façon naturelle, un élève qui sait déjà faire une tâche proposée par l’enseignant n’apprendra rien. Au mieux il sera très poli, accomplira la tâche en s’ennuyant en silence, au pire il fera suer son prof pour lui faire comprendre clairement que ce qu’on lui propose n’est pas adapté.
Alors, si on faisait simplement confiance aux élèves pour prendre le plaisir d’apprendre ce qu’ils ne maîtrisent pas encore ? Et au lieu de lourdes évaluations, on mettrait en place de belles motivations ! (projets, jeux, outils ludiques, activités de groupes ou sociales…).
L’évaluation est-elle utile pour apprendre ?
Cette question me revient dans la tête régulièrement, et sa réponse me paraît de plus en plus négative.
Evaluer, c’est passer du temps et donner de l’énergie pour une efficacité très relative. Certes si ça peut aider l’enfant à choisir une activité adaptée, ou mieux, une façon adaptée de réaliser son apprentissage, pourquoi pas ? (on est alors dans une logique diagnostique). Mais pour le reste, je suggère de laisser l’enfant tester, expérimenter, copier, agir, reproduire, essayer, chercher, trouver… mais certainement pas passer du temps à une évaluation imposée par l’enseignant ou par la société.
Notre rôle d’éducateur et d’enseignant serait alors de :
- Motiver. C’est pour moi la seule chose qui compte dans l’apprentissage. Si j’ai vraiment envie de réussir un flanc au caramel, je vais tout mettre en place pour y arriver (des connaissances, des outils, des ingrédients, une façon de faire, des échanges avec des experts, etc.). Ce qui est comique dans mon propos, c’est que les notes, et de façon générale la communication d’une « bonne réussite », peuvent être l’un de ces vecteurs de motivation pour certaines élèves…
- Faire découvrir des horizons inconnus. C’est « gentil » en effet de croire en la volonté d’apprentissage naturelle des enfants, mais encore faut-il qu’ils connaissent les champs à découvrir. C’est à l’enseignant de trouver les activités et les projets adaptés pour « donner la faim » de ces découvertes.
C’est déjà souvent le cas dans les classes pour les lancements de notions (le gâteau pour découvrir les fractions, un élevage pour apprendre des caractéristiques du vivant, une chorale pour apprendre à chanter…), mais ces actions sont très souvent délaissées (y compris dans ma classe) dès qu’il faut structurer ou évaluer. Et si on vivait plusieurs projets sur une même notion, histoire de structurer, d’évaluer et de s’entraîner, sans le dire ?
- Proposer des parcours différents. C’est certainement le plus difficile, mais ô combien efficace si on y arrive ! Là aussi les habitudes éducatives sont trop tenaces, et qu’il est difficile de ne pas imposer une voie d’apprentissage quand on la connaît et qu’on la maîtrise.
- Inciter au socio-constructivisme. Désolé pour le gros mot, mais nous avons dans nos classes des élèves qui savent, d’autres qui veulent savoir, d’autres encore qui ne savent pas qu’ils veulent savoir… etc. En favorisant des équipes, du travail en groupe, des projets commun, on arrive à donner à chacun leur chance de trouver un projet d’apprentissage, et de construire ces savoirs ensemble.
Arrêtons d’évaluer ; apprenons, vivons !
Bon, si je résume pour les lecteurs qui sont étrangers au jargon pédagogique de l’évaluation, ma thèse est de dire qu’on passe trop de temps en classe à mettre des points, des croix ou des notes, au détriment de l’action véritable qui permet d’apprendre des connaissances, des savoir-faire ou des comportements sociaux.
« Sentir » sa classe et ses élèves est certainement plus important et beaucoup plus efficace que toute une batterie de tests. Après tout, c’est bien ce qu’on vit en entreprise ? Les diplômes et les connaissances sur un CV ne font pas tout, mais la motivation, les qualités humaines ou encore l’adaptabilité sont des atouts précieux lors d’un entretien d’embauche ou lors de la réalisation d’une équipe.
Alors loin de moi l’envie de tout révolutionner. Mais si on laissait un peu de côté ce qui est inutile et pesant ? Si on arrêtait de dire aux élèves qui « savent » qu’ils sont en réussite, et à ceux qui ne savent pas encore qu’ils sont en échec ? Et si on passait ce temps gagné à faire les découvertes qui leur sont nécessaires à leur vie d’adulte ?
Vous l’avez compris, je ne suis pas très loin de chantonner de façon impertinente « les cahiers au feu et la maîtresse au milieu ». Mais là, je m’égare vraiment ! ^^
L’évaluation d’un projet à l’échelle d’une équipe d’école est à mettre en place lorsqu’on veut changer une approche dans l’école pour un objectif ciblé…Et là ce sont les enseignants qui maitrisent leurs actions et les évolutions…sur un ou 2 maxi projet par an! Pour la gestion quotidienne…bien sûr qu’on a pas besoin d’évaluer en permanence..Place à l’action et au plaisir d’agir ensemble…OUI entièrement d’accord!!
Je me permet de rebondir sur un point de cet article qui est l’auto-évaluation ou la réflexivité. Même si je ne suis pas enseignant, je suis papa de 2 filles au CP et au CM2 et je travaille dans le monde de l’éducation depuis peu.
Je trouve cet axe très important, et cet axe ne pas être appris dans des livres par des exercices sur papier, … On est plus dans le domaine du coaching. Mais peut-on parler de coaching pour des enfants de primaire ? Je ne sais pas répondre.
Je pense par contre que si on arrivait à amener nos enfants à un degré de réflexivité avancé, on pourrait au final se passer de beaucoup d’évaluations. Et ce serait que bénéfique pour le futur de nos enfants. Pour se remettre en question positivement, pour trouver d’autres terrains d’exploration, …
Une dernière remarque pour la route 😉 Si j’étais un enseignant, je pense que je ferais passer une évaluation en tout début d’année scolaire pour connaître rapidement ma classe. Afin de rentrer rapidement dans le vif du sujet pour faire de la pédagogie et non du cours magistral. Cet avis reste l’avis d’une personne qui ne connaît pas toutes vos contraintes.
PS : Je lis régulièrement vos articles qui sont très intéressants. Continuer comme ça, vous êtes le souffle de l’éducation nationale. Ceci reste aussi mon avis.
Excellent article.
On peut aussi mettre en place des séances d’évaluation-programmation collectives ou les enfants discutent entre eux de leurs progrès, de leurs échecs, des moyens de les surmonter et des choses à faire dans les jours qui suivent. Voir les réunions de coopérative Freinet.
Ces réunions ont de multiples avantages, en plus de la possibilité pour l’enfant de se situer dans son travail et d’être encouragé à évoluer au lieu d’être toujours sanctionné :
les enfants y apprennent le dialogue, la collaboration, l’émulation plutôt que la compétition, l »entraide…
Et l’on peut renvoyer aux oubliettes d’où elles n’auraient jamais dû sortir les leçons de morale stupides qu’on nous conseille aujourd’hui !
L’évaluation formative (soutien à la prise de conscience des apprenants de leurs acquis) et l’évaluation formatrice (éclairant l’apprenant sur le pilotage de son propre apprentissage) offrent des opportunités extraordinaires en matière de motivation pédagogique.