Cette année, j’ai eu la chance de rencontrer beaucoup d’enseignants qui innovaient, qui marchaient en dehors des clous de la tradition ou du vécu habituel des classes. Or, il est un thème dans mon métier sur lequel je n’ai jamais trouvé de solution satisfaisante, celui de l’évaluation. Voici mes quelques idées, à développer !
Mon évaluation diagnostique
Comme son nom l’indique, il s’agit de faire l’état des lieux de mon état actuel face à l’évaluation.
C’est un thème qui déchaîne les passions dans les équipes ou dans les médias : faut-il des notes, ne faut-il cibler que les réussites, ne devient-on pas des remplisseurs de cases et n’étiquetons-nous pas trop vite nos élèves ?
A titre personnel, je n’ai pas de réponse toute faite, mais je pars sur 2 constats :
- Nous passons beaucoup de temps à évaluer, au détriment des apprentissages. On a beau nous dire que l’évaluation est formative, c’est-à-dire qu’elle permet de cibler les besoins et les progrès d’un enfant dans un apprentissage, et de valider l’effet de nos séances, je reste convaincu que pour beaucoup d’élèves, le temps passé à remplir des questionnaires, des interros ou des tâches évaluatives non complexes est un temps perdu pour faire d’autres apprentissages ou pour l’entraînement des acquisitions qu’on souhaite évaluer.
En d’autres termes, au lieu de chercher s’il faut mettre des pastilles rouges, oranges ou vertes, ou des notes, on ferait mieux d’avancer dans l’apprentissage, ou de consolider les manques d’acquis. - Lorsqu’on parle d’évaluation, on ne sait pas de quelle évaluation on parle. Notre évaluation, qu’elle soit orale, écrite, ou spontanée, est-elle à destination de l’enseignant (pour valider la pertinence de ses séquences d’apprentissage), de l’enfant (pour prendre conscience du chemin parcouru et de celui à venir), ou des parents (pour rendre compte de l’état de leur enfant par rapport à ce qu’on attend de lui) ?
Une multitude de gens bien plus formés que moi se sont penchés sur cette question, mais je n’ai jamais trouvé l’évaluation qui servait vraiment l’apprentissage.
Mon idée
Enfin, mon idée… Disons, « une idée » que j’ai eue, car contrairement à ce que voudraient nous faire croire les sociétés de dépôts de brevets en tous genres, nous ne sommes pas propriétaires de nos idées, par contre nous sommes responsables et acteurs de leur mise en oeuvre.
Mon idée est toute simple : réaliser un « Foursquare éducatif ».
Bon, là je sens que j’ai perdu la moitié de ceux qui me lisaient encore jusqu’ici ! ^^
Qu’est-ce que Foursquare ?
Foursquare est un petit jeu sur Internet qui permet à n’importe qui d’indiquer par géolocalisation où il se trouve, via un téléphone équipé d’un GPS. Le fait de « checker » à un endroit fait gagner des points, notamment si des « amis » checkent au même endroit. Si l’un des joueurs se signale souvent dans un même lieu, il peut devenir le « Mayor » du lieu (je suis maire de mon école et j’en suis fier ^^).
De plus, les joueurs peuvent gagner des badges, selon les endroits qu’ils fréquentent le plus (par exemple, si vous checkez souvent dans des piscines, vous recevez le badge d’excellent nageur…).
Bon, je ne vais pas m’étendre sur les possibilités de Foursquare, ni sur ce qu’il peut apporter au niveau réductions chez certains commerçants, puisque ce qui m’intéresse uniquement, c’est son côté ludique.
J’ai bien vu, en utilisant Twitter en CP cette année, que le côté amusant, différent, allié à la nouvelle technologie, était facteur de motivation chez les enfants, notamment chez ceux qui n’avaient pas acquis un vrai statut d’élève… Certes avec Twitter, il y a en plus une prise de sens qu’il y a moins dans mon idée de Foursquare éducatif… Quoique !
T’en est où ?
Le principe serait simple : les élèves seraient chacun les joueurs de leurs apprentissages, et devraient « checker » leurs avancées progressives dans les « lieux » des connaissances, des compétences et des comportements. Chaque « passage » dans une activité d’apprentissage donnerait des points à l’enfant ; plus je m’entraîne, plus je deviens habitué du « lieu »…
Evidemment, cela n’impose pas un parcours obligé. Chaque enfant est à un endroit différent de ses connaissances et de ses compétences, et réalise son parcours de façon autonome, en fonction des objectifs établis par l’enseignant. L’avantage de ce système serait de mettre en avant les réussites, quel que soit le « niveau » scolaire de l’élève.
Les élèves pourraient gagner des badges également (« parfait mathématicien », « as du vocabulaire », « génie informaticien », « champion de course ») en fonction de la fréquence des découvertes, des entraînements ou des réussites. De plus, j’imagine bien un système de gains de points à la fois individuel, mais aussi par équipes (un peu à la manière des maisons de Poudlard dans Harry Potter).
Tout le reste est à inventer, même si j’ai déjà quelques idées !
Un parcours dangereux ?
J’entends déjà certaines personnes maugréer :
- Tu dénatures le sens même de l’évaluation, si les enfants apprennent pour gagner des points, ou pour jouer, ils ne mettent plus le « bon sens » dans leur apprentissage ;
- Ton truc, ça existe déjà, c’est le livret numérique des compétences !
- Tu dis perdre du temps à évaluer au détriment des apprentissages, ne vas-tu pas en perdre à compter les points ?
J’entends bien, et je le conçois. N’empêche que j’aimerais bien tester, car ma façon actuelle d’évaluer ne convient à personne, ou presque.
Un recours à la technologie
Le principe justement pour que cette évaluation ludique n’interfère pas dans les apprentissages serait qu’elle soit simple d’utilisation. Si chaque enfant a un compte dans une base de données, et que chaque activité d’apprentissage permette à ceux qui vivent la séance de signaler qu’ils l’ont vécue, il suffit à l’enfant de se signaler dans un lieu d’apprentissage. Le programme s’occupe du reste (attribuer des points, des badges, éventuellement signaler les endroits qui restent à visiter ou à explorer…).
Alors certes, faire une fiche, réaliser une manipulation, ou participer à un travail de groupe, ça ne valide pas un acquis. Mais c’est quand même un bout du chemin sur l’apprentissage… Et ça mérite pour l’enfant, ou pour ses parents, d’être signalé !
Dans l’idéal, j’imagine bien des QR-Codes (vous savez, ces flash codes noirs et blancs qu’on doit photographier avec nos téléphones portables, comme sur les bouteilles de Volvic par exemple ?). Un enfant qui fait une fiche prend en photo le QR-code imprimé sur celle-ci (ce qui ajoute ce « lieu d’apprentissage » dans sa base de données personnelle).
Des affiches permettent de proposer d’autres codes pour les activités qui ne sont pas sur fiche, ou pour les bons comportements, à l’image des pancartes pour bipper les salades quand je fais mes courses à Auchan avec mon petit pistolet à codes-barres ^^ : un check pour l’utilisation d’un mot de vocabulaire rare (« mots du jour »), un check pour un service rendu à la communauté, un check pour la réussite lors d’un travail de groupe, etc.
Tout est à inventer
J’en suis vraiment aux premières idées, mais les mettre par écrit me permet au moins de m’engager dans la poursuite de la réflexion.
Bien-sûr, si cela vous rappelle des choses qui existent, n’hésitez pas à me laisser des commentaires. On retrouvera des similitudes avec les « ceintures » de couleurs (PDF) utilisées dans certaines pédagogies pour les apprentissages ou le comportement, à l’image du judo.
Mais tout comme cette année avec l’utilisation de Twitter en classe, il ne faut pas que je perde de vue mon objectif : donner à l’enfant un moyen de se rendre compte de ses réussites et du parcours réalisé pour y arriver… Si en plus ça les amuse, que ça permet une transmission aux parents et que ça m’évite de remplir inutilement des petites cases pour mes élèves dont je sais pertinemment qu’ils ont acquis ce que j’évalue habituellement, alors ça sera déjà ça de gagné !
Au fait, si quelqu’un connaît un CMS qui permettrait de faciliter le développement de ce genre d’outil, ça m’intéresse.
une réaction à « je n’ai jamais trouvé l’évaluation qui servait vraiment l’apprentissage. »
pour moi, l’évaluation qui sert à l’apprentissage est avant tout l’auto-évaluation de l’élève, je ne parle pas de s’auto-corriger mais du processus cognitif qui permet à l’élève de « voir » le gap entre ce qu’on lui demande et ce qu’il est capable de produire et ensuite sa capacité à mettre en place des stratégies pour combler ce gap :
-demander des informations
-rechercher des informations seul
-refaire les exercices
-faire un schéma
-apprendre par coeur
….
C’est quelque chose que l’élève fait de manière instinctive (ou pas) mais qui est décisive !
Je suis intimement persuadée que c’est cette capacité à déceler ce gap, à le sentir et à vouloir le combler qui est une caractéristique des élèves qui réussissent.
Les autres évaluations sont des indicateurs qui peuvent lui servir, qui peuvent nous servir, mais c’est sa propre évaluation de lui même qui lui permettra de progresser.
Je suis enseignante en lycée professionnel. Je n’ai rien mis en place de spécial dans ce sens pour l’instant, mais je constate que les élèves qui changent de comportement, qui viennent plus souvent me poser des questions, qui sont donc conscients du Gap se mettent à progresser très rapidement.
Peut être qu’en aidant les élèves à faire de la méta-cognition, en les aidant à percevoir leurs processus mentaux, cela les aiderait.
En ce qui concerne le jeu dont tu parles, as tu eu l’occasion de rencontrer le jeu éducatif Adibou ? Il flèche les activités faites et les réussites.
bonne continuation.
Valérie
Bonjour Valérie,
Merci pour ces remarques intéressantes sur la méta-cognition… J’ai cherché plusieurs minutes ce que voulait dire « gap », jusqu’à ce que comprenne qu’il s’agissait du mot « fossé » en anglais ! ^^
J’étais parti sur une nouvelle appellation de la ZPD de Vygotski, et dans l’usage, je n’en étais pas loin.
C’est sûr que mon idée d’évaluer de façon ludique les activités sert surtout à faire de l’évaluation sommative, et tout le travail dont tu parles au niveau de leur situation d’apprentissage et du chemin qu’ils peuvent atteindre va être décisif pour le choix des activités, pas pour leur validation (bien que s’ils choisissent mal une activité, ils ne peuvent valider l’apprentissage…).
Cependant, pour favoriser cette auto-évaluation du « là où on se trouve », il faut peut-être donner à l’enfant une vision globale, une sorte de carte de ses apprentissages (là où il peut aller), et c’est sur ce point qu’il faudrait que je travaille. A suivre j’espère !
Pour Adibou, je connais bien-sûr, et de nombreux jeux éducatifs utilisent ce système de parcours individualisés. Mon principe ne serait pas le même, il servirait juste à rendre ludique ce qui n’est pour l’instant que résultats (réussites ou échecs) et observations (compliments ou sanctions).
Merci en tous cas d’avoir pris le temps de laisser ces quelques mots.
Les cartes de connaissance sont développé en science (la fameuse AAAS éditeur de science a publié un atlas avec une carte dans chaque domaine de ce que les enfants peuvent apprendre à tout âge, malheureusement pas facile à utiliser car uniquement en version papier). La création d’un équivalent de google map de la connaissance serait intéressante. La khna academy a commencé à faire quelque chose d’assez prochez de ce que tu proposes en math.
Si tu avances sur ton idée de foursquare éducatif, je suis preneur d’infos sur tes progrès car je pense que cela serait intéressants aussi au niveau universitaire y compris pour mettre en relation des étudiants se trouvant dans un même lieu d’apprentissage comme foursquare peut le faire dans le monde physique.
A l’occasion passe en discuter au CRI http://www.cri-paris.org/fr/accueil-cri/education-2.0/
à bientôt j’espère
François
Merci pour votre commentaire.
Je ne sais pas si j’aurai les épaules assez larges pour développer cette idée jusqu’à une réalisation adaptable à ma classe, encore moins à réaliser quelque chose d’adaptable à d’autres niveaux ! ^^
Cependant, j’aime bien l’idée de la « Google Maps éducative », qui rejoint bien le sens de mes bribes d’idées.
Des expériences de « cartographie des compétences » ont déjà été faites, mais j’aimerais y ajouter une dimension sociale, qu’on peut trouver dans Foursquare : un lieu (de connaissance) possède un « mayor », sur lequel on peut se reposer ou s’appuyer pour accéder aux apprentissages.
Si l’outil permettait de donner, par un système simple, les personnes ressources sur lesquelles on peut s’appuyer dans les zones non explorées, ça pourrait être un véritable « plus » dans la dimension sociale et collaborative de l’apprentissage.
Mais tout cela doit encore être pensé, et timidement développé.
Bonjour,
Votre idée me fait penser à un livre de Pierre Levy que j’ai lu récemment et qui s’appelle Les arbres de connaissance : le système permet de mettre en oeuvre une pédagogie coopérative décloisonnée et personnalisée. Dans une organisation, les arbres de connaissances offrent des instruments de repérage et de mobilisation des savoir-faire, d’évaluation des formations, ainsi qu’une vision stratégique des évolutions et des besoins de compétences. Dans tous les cas, les individus gagnent une meilleure appréhension de leur situation dans l’espace du savoir des communautés auxquelles ils participent et peuvent élaborer en connaissance de cause leurs propres stratégies d’apprentissage.
http://mindshift.kqed.org/2011/08/how-do-we-prepare-our-children-for-whats-next/
Dans cet article, l’auteur Cathy Davidson parle aussi de s’inspirer de modèles issus des NTIC pour changer les modes d’évaluation. Notamment en s’inspirant du fonctionnement des jeux multi-joueurs par ex.
J’ai eu des échanges aussi avec des artistes, qui utilisent des modes de « feedback » constructifs et positifs (on le sait, un artiste qui montre sont travail à d’autres artistes pour « critique » est à vif il faut donc des outils spécifiques). Ils ont des outils qui me paraissent puissants à utiliser en classe…
Cf. aussi mon billet sur le radar de maman (http://delphine-batton.com/le-radar-de-maman/), c’est un outil qui je pense pourrait grandement être utile et utilisé en classe.